Il y a quelque chose de profondément ironique dans l’obsession actuelle de l’industrie tech à rendre l’IA « plus accessible ».
Comme si la vraie barrière à l’adoption de ces outils n’était pas notre paresse intellectuelle, mais la difficulté technique.
C’est pourtant bel et bien notre paresse qui nous empêche d’utiliser ces outils de la meilleure des manières. On s’arrête au premier défi et on ne va pas chercher plus loin, alors qu’il y a de multiples usages.
Et dans ce cadre de fainéantise.
Google vient d’ajouter à Nano Banana une fonctionnalité que tout le monde célèbre déjà comme « révolutionnaire » : la possibilité de dessiner vos instructions plutôt que de les écrire.
Vous savez quoi ?
Et bien cela reste brillant.
C’est le symptôme parfait d’une génération qui refuse d’apprendre à communiquer efficacement avec ses outils.
C’est la facilité de prendre son doigt et de toucher son écran tactile pour dessiner quelques esquisses et avoir une génération d’image.
L’art de l’esquisse, ou comment contourner la vraie compétence
Concrètement, voici ce que Google vous propose : au lieu d’écrire « Ajoute un chapeau de cowboy rouge sur ma tête et place-moi devant un décor de Far West au coucher du soleil », vous pouvez maintenant uploader votre photo, gribouiller approximativement un chapeau au-dessus de votre tête avec votre doigt, et laisser Gemini interpréter votre chef-d’œuvre visuel.
La fonctionnalité s’appelle « Mark up » et elle est disponible sur Android, iOS et web. Deux outils au menu :
- Sketch : vous dessinez, surlignez, pointez les zones que vous voulez modifier
- Text : vous ajoutez des annotations textuelles directement sur l’image
Google vous assure que « vous n’avez même plus besoin d’écrire de prompt ».
Quel progrès, n’est-ce pas ?
On était à deux doigts de devoir apprendre à structurer notre pensée…
Ce que personne ne vous dit sur cette « révolution »
Permettez-moi d’être celui qui brise l’ambiance euphorique autour de cette nouveauté.
Oui, dessiner ses instructions peut être utile. Dans certains cas précis. Je pense notamment à :
- Les designers qui itèrent sur des compositions complexes : pointer précisément « je veux cet élément ici, avec cette orientation » plutôt que de décrire en 200 mots la position relative de chaque objet dans l’espace. C’est du temps gagné.
- Les maquettistes qui travaillent sur des layouts : esquisser rapidement la structure d’une interface et laisser Nano Banana Pro (si vous avez l’abonnement) la rendre en haute définition avec le texte bien placé. Là encore, efficacité maximale.
- Les storyboarders qui enchaînent des séquences visuelles : dessiner les mouvements de caméra, les transitions, les angles de vue. La vitesse d’exécution devient un vrai avantage compétitif.
Mais pour 80% des utilisateurs ? C’est juste une manière élégante d’éviter d’apprendre à prompter correctement.
L’abdication déguisée en innovation
Voilà le cœur du problème que je vois dans cette tendance : nous sommes en train de confondre « facilité d’usage » avec « absence d’apprentissage nécessaire ».
« La bêtise, c’est de la paresse. C’est quelqu’un qui se lève le matin et qui ne se dit pas : « Je ne sais pas assez de chose, je ne fais pas assez de chose. » »
Quand vous ne savez pas prompter efficacement Nano Banana, le résultat est médiocre. Quand vous gribouiller approximativement vos modifications sans réfléchir à ce que vous voulez vraiment obtenir, le résultat… Et bien là aussi il est médiocre.
La différence ? Dans le premier cas, vous avez au moins construit une compétence transférable. Vous avez appris à structurer vos demandes, à anticiper les ambiguïtés, à itérer intelligemment. Vous avez appris à penser en collaboration avec une IA.
Dans le second cas, vous avez juste appris à griffonner sur un écran en espérant que l’algorithme devine ce que vous vouliez dire. C’est du pointillisme prompt : vous multipliez les petits coups de crayon sans vision d’ensemble, en laissant la machine assembler le puzzle.
Le vrai luxe : savoir ce qu’on veut
Il y a une citation de Steve Jobs que j’aime beaucoup :
« People don’t know what they want until you show it to them. »
Traduisez :
« Les gens ne savent pas ce qu’ils veulent tant que vous ne le leur montrez pas. »
Sauf que Jobs parlait de produits finis, pas d’outils de création.
Quand vous utilisez Nano Banana – avec ou sans fonction de dessin – le vrai travail n’est pas technique. C’est conceptuel.
Qu’est-ce que je veux créer précisément ? Pour quel usage ? Avec quel rendu ? Quelle est ma vision ?
Si vous ne savez pas répondre à ces questions à travers un texte, votre dessin ne les résoudra pas magiquement. Vous allez juste itérer plus vite… dans le vide.
Alors, on fait quoi avec cette nouveauté ?
Première option : l’ignorer complètement. Continuez à maîtriser l’art du prompt textuel. Devenez excellent dans la formulation de vos demandes. C’est une compétence qui vous servira sur ChatGPT, Claude, Midjourney, et tous les outils à venir.
Deuxième option : l’utiliser comme accélérateur, pas comme béquille. Vous savez prompter ? Parfait. Maintenant, ajoutez le dessin pour les cas où ça va vraiment plus vite. Un croquis pour indiquer une composition, une annotation pour préciser une zone exacte, un cercle pour isoler un élément. Mais toujours avec un prompt textuel structuré en arrière-plan.
Troisième option : la plus intéressante à mes yeux. Utiliser le dessin comme outil de réflexion visuelle avant même de générer l’image. Prenez une feuille blanche (oui, papier, pas écran), esquissez ce que vous voulez obtenir, puis traduisez ça en prompt + annotations dans Nano Banana. Vous verrez que le simple fait de dessiner d’abord clarifie votre pensée.
Le test révélateur
Voici comment savoir si cette fonctionnalité vous est vraiment utile ou si c’est juste du gadget dans votre cas :
Prenez un projet récent où vous avez utilisé un générateur d’images. Maintenant, refaites-le avec la fonction dessin de Nano Banana. Chronométrez le temps total (incluant les itérations).
Si vous avez gagné au moins 30% de temps ET que le résultat final est de qualité équivalente ou supérieure, alors cette fonctionnalité a une vraie valeur pour vous. Utilisez-la.
Sinon ? Vous êtes juste en train de perdre du temps à apprendre un outil qui ne vous servira pas vraiment.
Ce que ça révèle sur l’industrie de l’IA
Cette course à la simplification à tout prix est révélatrice. Google, comme ses concurrents, cherche à élargir son marché en réduisant la barrière à l’entrée.
C’est logique commercialement. C’est même intelligent.
Mais ça crée aussi une génération d’utilisateurs qui consomment de l’IA sans comprendre ce qu’ils font. Qui génèrent des images sans vision artistique. Qui automatisent des processus sans réflexion stratégique. Qui déploient des chatbots sans avoir pensé l’expérience utilisateur.
C’est exactement ce que je répète depuis le lancement de The French Bot : automation yes, abdication no.
Nano Banana avec sa fonction dessin peut être un outil redoutable entre les mains de quelqu’un qui sait ce qu’il fait. Entre les mains de quelqu’un qui cherche juste à éviter l’effort de structurer sa pensée ? C’est juste une béquille de plus. Un handicap à la réflexion.
Mode d’emploi (pour ceux qui veulent quand même essayer)
Je ne souhaite pas vous laisser avec juste une critique philosophique. Voici comment utiliser concrètement cette fonctionnalité si vous décidez de lui donner sa chance :
- Ouvrez l’application Gemini (Android, iOS ou web – gemini.google.com)
- Uploadez une image dans le champ de prompt
- Cliquez sur l’image pour lancer l’éditeur « Mark up »
- Choisissez votre outil :
- Sketch pour dessiner directement (undo/redo disponibles en haut à droite)
- Text pour ajouter des annotations textuelles précises
- Esquissez vos modifications – soyez précis, pas brouillon
- Ajoutez un prompt textuel si nécessaire (et franchement, faites-le)
- Validez et laissez Gemini interpréter
La fonctionnalité est disponible gratuitement, avec passage automatique sur Nano Banana classique (au lieu de Nano Banana Pro) une fois vos quotas épuisés.
Le verdict sans langue de bois
Nano Banana avec sa fonction dessin, c’est un outil puissant. Mais comme tous les outils puissants, il amplifie ce que vous y mettez.
Si vous y mettez de la réflexion, de la vision, de la précision : vous allez créer des choses remarquables plus rapidement.
Si vous y mettez de la flemme cognitive déguisée en créativité spontanée : vous allez juste produire du médiocre plus vite.
Le choix, comme toujours, vous appartient.
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Parce qu’entre nous, l’IA la plus puissante reste celle entre vos deux oreilles. Les outils, aussi brillants soient-ils, ne sont que des amplificateurs.
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Julian & L’équipe The French Bot
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